L’essor et la transformation des sociétés savantes à Montbéliard : du XIXe au XXe siècle

02/10/2025

Entre érudition, curiosité et engagement local : la naissance des sociétés savantes à Montbéliard

Le Pays de Montbéliard possède une identité scientifique et culturelle singulière, qui s’est forgée tout au long du XIXe siècle autour d’un tissu dense de sociétés savantes. Héritières de l’esprit des Lumières et profondément ancrées dans la tradition réformée locale, ces sociétés sont nées dans un contexte d’effervescence intellectuelle et de volonté d’émulation au service de la communauté. Mais comment ont-elles évolué et traversé les tempêtes du XXe siècle ? Quelles traces ont-elles laissées dans la mémoire et le paysage culturel actuel ?

Genèse et âge d’or au XIXe siècle : la floraison des sociétés d’émulation

Dans l’Europe des années 1800, la création de sociétés savantes est un phénomène de grande ampleur, mais Montbéliard se distingue par son dynamisme et sa précocité. Quelques dates et chiffres à méditer :

  • La Société d’Émulation de Montbéliard est fondée en 1799, en pleine période de Révolution, s’inscrivant dans les sillons creusés par l’Académie de Besançon ou la Société savante de Belfort.
  • Avant 1850, Montbéliard dispose déjà de trois sociétés savantes actives : la Société d’Émulation, la Société d’Histoire Naturelle et la Société Philomathique. (Source : Persée.fr)
  • À leur apogée, dans les années 1870, ces sociétés réunissent plus de 100 membres actifs chacun, soit environ 1% de la population urbaine de Montbéliard sous le Second Empire – un chiffre remarquable pour l’époque.

Leur vocation ? Elle n’est pas seulement académique, mais civique et économique : promouvoir les découvertes scientifiques locales, encourager l’innovation industrielle, préserver le patrimoine, diffuser l’art, la littérature et la connaissance auprès d’un large public. Et cela, dans l’esprit protestant d’ouverture et de progrès qui marque encore la région.

Le rôle de pivot entre tradition et modernité

Loin d’être repliées sur elles-mêmes, ces sociétés servent de passerelles entre différentes classes sociales et initient d’innombrables collaborations. Parmi les figures marquantes, on retrouve des enseignants du collège Cuvier, des notables de la Cour d’Ornano, mais aussi des autodidactes passionnés de botanique, d’ethnographie ou de linguistique locale.

  • Les fameuses séances publiques – souvent tenues à la salle Granvelle – attirent parfois jusqu’à 300 personnes, selon des archives communales de 1864 (Source : Archives municipales de Montbéliard). On y débat de météorologie, d’inventions mécaniques, de dialectes francs-comtois, de l’histoire de la verrerie ou des migrations suisses.
  • Des concours annuels encouragent les essais sur l’amélioration des cultures (céréales, vigne), la vaccination ou les premiers essais de photographie stéréoscopique locale.

Le XIXe siècle est aussi marqué par une intense production éditoriale : chaque société publie ses Bulletins, parfois illustrés de lithographies d’archives, précieux pour les historiens actuels.

Persistance et bouleversements : la difficile traversée du XXe siècle

1900-1945 : entre résilience et repli

Le XXe siècle marque en France une érosion progressive des sociétés savantes, à la fois concurrencées par le développement universitaire et affaiblies par les crises majeures.

  • La Première Guerre mondiale éprouve douloureusement les sociétés montbéliardaises : sur une cinquantaine de membres recensés en 1914, dix sont tués ou blessés, la plupart suspendent leurs activités en 1915-1918 (Source : Bulletins de la Société d’Émulation, 1921).
  • Dès les années 1920, le recrutement s’essouffle, les jeunes diplômés privilégiant de plus en plus l’Université de Besançon ou de Strasbourg.
  • À la veille de la Seconde Guerre mondiale, seules deux sociétés subsistent avec une trentaine de membres réguliers, bien loin de l’effervescence des décennies précédentes.

Pourtant, même en contexte troublé, ces cercles continuent de publier – à échelle réduite – des études sur l’urbanisme napoléonien, des recherches ethnographiques sur les traditions paysannes ou des inventaires botaniques. À noter, l’édition en 1937 d’un inventaire des moulins du Doubs, devenu une référence pour la sauvegarde du patrimoine hydraulique.

1945-1980 : la redéfinition des missions et l’ouverture à de nouveaux publics

La Libération s’accompagne d’un grand besoin de reconstruction et d’un renouveau du tissu associatif. Si nombre de sociétés savantes locales s’étiolent dans certaines villes moyennes, Montbéliard offre une résistance particulière. Elle s’adapte et se renouvelle :

  • En 1953, la fusion entre la Société d’Émulation et la Société d’Histoire Locale donne naissance à la Société d’Histoire et d’Archéologie de Montbéliard, encore active aujourd’hui (voir SHAM)
  • Les sujets de recherche s’élargissent : place accrue à la préhistoire, à l’histoire ouvrière (industrie automobile oblige), mais aussi à la linguistique francomtoise et aux premières enquêtes sur l’immigration suisse et piémontaise.
  • La démocratisation de l’accès à l’éducation entraîne l’apparition d’un public nouveau : instituteurs, élèves des lycées, artisans. En 1960, les séances publiques attirent à nouveau jusqu’à 150 visiteurs (Source : comptes-rendus SHAM 1962).

C’est aussi l’ère des collaborations avec les musées (en particulier le Musée du Château), l’organisation d’expositions temporaires et la publication d’ouvrages collectifs devenus incontournables, comme le Dictionnaire historique de Montbéliard (1970).

La métamorphose numérique et associative de la fin du XXe siècle

À l’approche de l’an 2000, les sociétés savantes connaissent un précis tournant :

  • Diversification des activités : De la simple conférence érudite, elles passent à des visites commentées, des journées thématiques, voire à la participation à des fouilles archéologiques ou la sauvegarde de sites industriels.
  • L’irruption des nouvelles technologies favorise la numérisation des fonds d’archives locaux. En 1994, le premier inventaire informatisé des manuscrits montbéliardais voit le jour au sein de la SHAM.
  • Les collaborations avec les universités, les collectivités locales, les écoles, donnent naissance à des projets de restitution du patrimoine (signalétique historique, parcours commentés...) et à des expositions interactives.
Période Nombre de membres actifs (estimation) Principaux thèmes étudiés
1850-1900 120-150 Sciences naturelles, histoire locale, techniques agricoles
1920-1950 30-50 Patrimoine bâti, ethnographie, histoire politique
1970-2000 100-120 Industrie, immigration, préhistoire, patrimoine industriel

Figures souvent méconnues et anecdotes savoureuses

  • Ernest Chappuis, enseignant et botaniste autodidacte, passe plus de 20 ans à inventorier les orchidées du pays de Montbéliard : son herbier comprend aujourd’hui plus de 600 spécimens (conservé au Musée du Château).
  • En 1896, la société d’émulation attribue son prix annuel à un inventeur… de parapluie à mât télescopique, qui fit grand bruit dans la presse locale mais ne sera jamais commercialisé. Anecdote révélatrice de l’esprit d’innovation joyeusement décalé du Montbéliard d’autrefois !
  • Parmi les membres d’honneur de la SHAM figurent plusieurs ouvriers de Peugeot, auteurs de chroniques précises sur la vie d’usine ou sur la résistance locale.

Perspectives : une vitalité renouvelée et de nouveaux défis

Le paysage des sociétés savantes du Pays de Montbéliard illustre formidablement la capacité d’un territoire à s’adapter et à faire fructifier son héritage scientifique et culturel. Si la crispation sur le vieillissement des membres reste un défi, les initiatives menées ces vingt dernières années – ouverture aux jeunes, numérisation, collaborations artistiques et patrimoniales – témoignent d’une inventivité toujours vive.

L’expérience montbéliardaise nous rappelle que la transmission des savoirs, loin d’être réservée à une poignée d’érudits, dépend d’une dynamique collective, sans cesse réinventée. Plus que jamais, ces sociétés demeurent le creuset d’une identité vivante et ouverte, mettant leurs archives au service non d’un passé figé, mais d’un avenir curieux et participatif.

Pour aller plus loin :

  • Société d’Histoire et d’Archéologie de Montbéliard : Site officiel
  • Revues numérisées sur Gallica (BNF)
  • Sociétés savantes de France, annuaire Persée (Persée)

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