Les grands esprits des sociétés savantes de Montbéliard : portraits, parcours et héritages

06/10/2025

Montbéliard, berceau d’émulation et de savoir collectif

La tradition montbéliardaise en matière de sociétés savantes demeure l’un des axes majeurs de l’histoire intellectuelle régionale. Depuis le XVIII siècle, l’esprit d’émulation a planté ses racines à Montbéliard, entrainant des générations dans le goût du savoir partagé. Les sociétés savantes locales sont devenues d’authentiques creusets où, au fil des décennies, se sont côtoyés professeurs, médecins, botanistes mais aussi industriels, érudits locaux et autodidactes. Leur ambition : faire avancer l’inventaire et la valorisation des Lettres, des Sciences et des Arts à l’échelle du Pays de Montbéliard.

Mais qui sont ces figures qui ont marqué l’histoire de ces cercles ? Comment ont-ils influencé jusqu’au rayonnement national, voire international, d’un territoire à la croisée des influences françaises et germaniques ? Ce dossier raconte les parcours, les œuvres marquantes et les anecdotes rares de quelques-uns des membres les plus illustres des sociétés savantes montbéliardaises.

L’essor des sociétés savantes à Montbéliard : un contexte fertile

Le XIX siècle est marqué, en France, par la multiplication des sociétés savantes, encouragées par le mouvement des Lumières. À Montbéliard, en particulier, plusieurs institutions ont vu le jour :

  • La Société d’Émulation de Montbéliard (fondée en 1799), la plus ancienne, consacre ses travaux à l’étude historique, littéraire, archéologique et scientifique de la région.
  • La Société Belfort-Montbéliard d’Histoire Naturelle, créée en 1872, attire nombre de naturalistes passionnés.
  • L’Académie de Montbéliard, qui s’insère dans une dynamique européenne, favorise l’échange avec des sociétés allemandes et suisses.

Cet environnement a favorisé l’émergence de personnalités influentes, souvent à la croisée de plusieurs disciplines.

Figures fondatrices et pionniers : des noms devenus références

Georges Cuvier (1769-1832), le savant qui bouleversa la zoologie

  • Natif de Montbéliard, Georges Cuvier demeure une figure majeure dans l’histoire des sciences naturelles.
  • Il est considéré comme le fondateur de l’anatomie comparée et de la paléontologie vertebrée (Académie des Sciences, biographie de Cuvier).
  • Il intègre dès 1799 la Société d’Émulation de Montbéliard et favorise, par son œuvre, une ouverture sur le monde scientifique européen.
  • Anecdote significative : Cuvier, qui a donné son nom à plus de 50 espèces animales, encouragea aussi la création de cabinets d’histoire naturelle à Montbéliard, posant la base des collections locales du futur Musée d’Histoire Naturelle.

Frédéric Japy (1749-1812), l’horloger novateur et mécène discret

  • Si son nom évoque surtout la révolution industrielle et l’horlogerie, Frédéric Japy fut aussi l’un des artisans du rayonnement culturel local.
  • Par son implication dans plusieurs cercles savants, il a encouragé la convergence entre recherche scientifique et développement industriel à Montbéliard.
  • Sous son impulsion, des concours de mécanique et d’innovation ont vu le jour et bon nombre de ses procédés industriels furent communiqués lors de séances publiques aux côtés de savants et d’enseignants.

Émile Blin (1842-1921), le médecin humaniste et historien local

  • Président de la Société d’Émulation et auteur d’une monographie pionnière sur la vie hospitalière montbéliardaise du XIX siècle (France Archives).
  • Il mène, dès 1878, de vastes collectes orales et documentaires sur le patrimoine urbain et rural, devenant un témoin central des mutations sociales du Pays de Montbéliard.
  • Les recherches d’Émile Blin participent, à l’échelle régionale, au renouvellement de l’histoire médicale et mènent à la création des annales sanitaires et sociales locales.

Des naturalistes aux pédagogues : une tradition du savoir transmis

L’une des richesses des sociétés savantes montbéliardaises réside dans la diversité de leurs membres. Au fil des siècles, elles ont su s’ouvrir à des disciplines variées. Trois profils incarnent cette pluralité :

Louis Pergaud (1882-1915), maître d’école, écrivain et observateur du vivant

  • Connu pour La Guerre des boutons, Louis Pergaud fut instituteur dans la région Montbéliardaise (notamment à Landresse), tout en étant membre actif de sociétés savantes locales.
  • Il fut récompensé en 1908 par l’Académie française pour De Goupil à Margot, son recueil animalier.
  • Dans ses chroniques et interventions aux réunions, Pergaud conjugue observation minutieuse de la nature et réflexion sur les liens entre éducation, ruralité et progrès social.

Théodore Deck (1823-1891), le céramiste au rayonnement international

  • Maître de la faïence artistique, Deck, originaire de Guebwiller mais ayant séjourné fréquemment à Montbéliard, présida à plusieurs reprises l’Académie locale.
  • Il fit partager son savoir technique et esthétique lors de séances publiques, popularisant des techniques telles que l’émail bleu turquoise “bleu Deck”, dont de nombreuses pièces sont conservées au Musée du Château de Montbéliard.
  • Deck contribua à structurer l’interaction entre artistes, artisans et scientifiques au sein de la société savante locale.

Henri Nodier (1780-1844), précurseur du romantisme littéraire

  • Natif de Besançon mais enraciné par ses séjours à Montbéliard, Henri Nodier apporta une note littéraire et poétique à l’émulation régionale.
  • Il publia plusieurs textes sur l’histoire, les contes fantastiques et la toponymie du pays.
  • Son implication au sein de la Société d’Émulation se traduit par l’organisation de soirées de lecture et d’ateliers d’écriture, rendant la littérature vivante et accessible à un nouveau public.

Les sociétés savantes, bouillons de culture technique et scientifique

Au-delà des portraits individuels, l’apport des sociétés savantes de Montbéliard réside dans leurs chantiers communs : description du patrimoine naturel, recensement de la flore et de la faune, conservation du patrimoine bâti, encouragement de la recherche industrielle…

Quelques chiffres et faits marquants :

  • Entre 1820 et 1920, la Société d’Émulation publie plus de 1200 communications, dont une centaine sur les crues de l'Allan et l’évolution du paysage industriel local (Société d’Émulation de Montbéliard).
  • La Société Belfort-Montbéliard d’Histoire Naturelle participe à la cartographie précoce de la biodiversité du Doubs Sud, identifiant plus de 170 espèces de plantes rares dès le dernier quart du XIX siècle (Société Belfort-Montbéliard d’Histoire Naturelle).
  • Les femmes, certes minoritaires au XIX siècle, jouent un rôle croissant dès les années 1920 avec l’arrivée de figures telles que Suzanne Jacquot (botaniste et pédagogue) et Clotilde Varin (archéologue amateur et collectionneuse), qui accèdent à des fonctions de vice-présidentes dès 1928.

On relève aussi une particularité locale : l’accent mis sur la diffusion “grand public” des travaux. Dès 1875, des séances sont ouvertes aux ouvriers d’ateliers, élèves d’écoles secondaires et même enfants, une innovation rare dans l’histoire des sociétés savantes françaises (voir Cairn.info, revue d’histoire moderne et contemporaine).

De l’héritage individuel aux dynamiques collectives

Les sociétés savantes de Montbéliard, au fil de leurs deux siècles d’existence, n’ont pas seulement forgé des destins individuels. Leur existence repose sur la dynamique collaborative : échanges de correspondance avec les sociétés soeur d’Alsace, de Suisse et du Bade-Wurtemberg, projets conjoints comme le recensement toponymique transfrontalier dès 1881, ou la première exposition de fossiles fossiles et minéraux régionaux en 1902, réunissant plus de 1800 objets prêtés par membres et particuliers.

Parmi les membres anonymes ou moins connus, on doit également citer :

  • Joseph Römer (1834-1917), initiateur de la sauvegarde des archives du Temple Saint-Martin, dont le travail a sauvé plusieurs manuscrits protestants du XVI siècle.
  • Marcel Trystram (1878-1956), ingénieur et promoteur de la vulgarisation scientifique lors d’expositions publiques itinérantes.
  • Lucie Herrenschmidt (1886-1945), dont les travaux de traduction allemande sur l’histoire de Montbéliard ont contribué à la reconnaissance transfrontalière du patrimoine local.

Émulation sans frontières : influences et rayonnement hors Montbéliard

Les sociétés savantes montbéliardaises ont toujours tissé un réseau au-delà de leurs frontières. À partir du milieu du XIX siècle, la Société d’Émulation échange régulièrement avec Strasbourg, Stuttgart ou Neuchâtel sur des sujets comme la linguistique régionale ou la mémoire industrielle. En 1905, la société apporte sa contribution à la grande enquête sur les dialectes franc-comtois, lancée par le Musée de l’Homme à Paris, fournissant près de 2500 fiches linguistiques issues de ses membres locaux (source : Persée).

Un autre exemple illustre le rayonnement technique : plusieurs membres, dont l’ingénieur Jules Vauthier, sont sollicités pour rejoindre les jurys des expositions universelles de 1889 et 1900, apportant aux industriels français la connaissance pointue d’un territoire de savoir-faire mécanique.

Le souffle d’émulation aujourd’hui : héritage vivant et inspirations contemporaines

Si les sociétés savantes ont donné au passé de Montbéliard ses lettres de noblesse, leur influence se prolonge dans le tissu associatif et muséal contemporain. La Société d’Émulation publie toujours ses bulletins, des conférences croisent régulièrement histoire, sciences et débats citoyen, contribuant à faire vivre la curiosité collective. L’esprit d’émulation, marqué par ces figures exemplaires du passé, demeure un moteur vivace pour découvrir, transmettre, et inventer la Montbéliard de demain.

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