L’épopée éditoriale des sociétés savantes montbéliardaises : Un voyage à travers les revues historiques et scientifiques

20/09/2025

Un pays d’émulation et d’encre : la naissance du mouvement montbéliardais

Si Montbéliard brille aujourd’hui pour la richesse de ses initiatives culturelles et scientifiques, c’est en bonne part grâce à la tradition pluriséculaire des sociétés savantes. Dès le XVIII siècle, ces cercles d’émulation organisent la circulation du savoir bien au-delà des salons privés : ils la fixent dans l’encre et le papier, lui offrant ainsi l’éternité. Comprendre Montbéliard, c’est donc s’aventurer dans un réseau remarquable de publications, revues, bulletins et mémoires qui ont marqué durablement l’histoire intellectuelle du territoire.

La Société d’Émulation de Montbéliard : actes fondateurs et mémoires

Fondée en 1799, la Société d’Émulation de Montbéliard est la plus célèbre parmi ses pairs. Dès son origine, son ambition est double : promouvoir les sciences naturelles, les lettres et les arts, mais aussi documenter la vie et le patrimoine local. Son bulletin, longtemps désigné sous l’intitulé Mémoires de la Société d’Émulation de Montbéliard, s’impose rapidement comme l’un des vecteurs majeurs de la diffusion du savoir régional.

  • Aujourd’hui, plus de 150 volumes couvrent deux siècles de fécondité intellectuelle, depuis la description des pierres trouvées sous la collégiale Saint-Maimboeuf jusqu’aux études sur la sociologie industrielle contemporaine.
  • Les deux séries principales, (1 : 1799-1875, 2 : 1876-...), témoignent d’une régularité remarquable, avec plusieurs livraisons annuelles au XIX siècle puis une périodicité plus souple au XX.
  • Publications clés : Étude sur le dialecte montbéliardais par Abel Girardot (1865), inventaires botaniques et faunistiques dès les années 1830-1850, recensements manuscrits d’archives protestantes, monographies agricoles, etc.

Les premières décennies sont dominées par la curiosité encyclopédique propre à l’époque des Lumières, mais les auteurs s’ancrent rapidement dans les territoires et les savoirs locaux, tels le travail pionnier de Charles Weiss, historien et bibliothécaire (voir Gallica).

Revues et bulletins spécialisés : diversité et complémentarité

Aux côtés des grands périodiques de la Société d’Émulation, le Pays de Montbéliard voit émerger d’autres publications, traitant de disciplines spécifiques ou amplifiant la dimension patrimoniale.

Le Bulletin de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Montbéliard

Lancé à la veille de la Première Guerre mondiale, ce Bullletin se spécialise dans l’histoire locale, l’archéologie et la généalogie. Il se distingue aussi par l’attention portée à la mémoire protestante, reflet d’une identité toujours vivace dans le Pays de Montbéliard.

  • Parution irrégulière mais dense : plusieurs centaines d’articles publiés depuis 1913.
  • Ouvrages collectifs remarquables : études sur les fortifications urbaines, catalogues de fouilles à Sainte-Suzanne, dossiers sur les grandes familles locales.
  • Son comité de lecture a su accueillir aussi bien des notables érudits que de jeunes chercheurs, traduisant la volonté d’ouverture propre au territoire.

Parmi les travaux de référence, citons les synthèses de Jules Vuillemin sur la toponymie (1917), les inventaires des pierres tombales réalisées par Andrée Defaux (1990), ou, plus récemment, des recherches inédites sur la colonie helvétique dans la région (Persée – Bulletin de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Montbéliard).

La Revue Éducative du Pays de Montbéliard

Moins connue du grand public, mais essentielle à la compréhension des réseaux d’instituteurs et d’amateurs de sciences, cette revue parait entre 1899 et 1924. Elle propage des articles à visée pédagogique, des comptes rendus d’expériences en classe ou de sorties naturalistes, préparant ainsi le terrain pour une vulgarisation éclairée des savoirs.

  • Plus de 500 contributions recensées, qui offrent un regard sur la formation des « élites de village » et la démocratisation de la connaissance jusque dans les campagnes alentour.
  • Des articles sur les traditions populaires, la flore locale, des traductions de textes allemands ou suisses, témoignant du foisonnement transfrontalier unique au territoire.

Le souffle scientifique : Montbéliard dans les réseaux nationaux

La spécificité de Montbéliard tient aussi à la capacité de ses sociétés savantes à dialoguer bien au-delà du Doubs, s’intégrant aux réseaux intellectuels français, suisses et allemands.

Des échanges éditoriaux avec Strasbourg, Bâle et Besançon

  • Les "Tables de correspondance" (années 1860-1930) publiées en fin de volume par la Société d’Émulation recensent régulièrement les échanges de bulletins, notes et mémoires avec les sociétés savantes de Strasbourg, Bâle, Besançon et même Paris. Plusieurs dizaines d’articles d’auteurs montbéliardais sont repris dans les Annales scientifiques de l’Université de Strasbourg ou les Mémoires de la Société d’Histoire Naturelle de Bâle.
  • La Bibliothèque municipale de Montbéliard conserve ainsi le plus important fonds de périodiques d’émulation d’est de la France, offrant un témoignage rare sur les pratiques éditoriales savantes entre 1789 et 1940 (voir la notice de CCFr).

Certains thèmes phares alimentent particulièrement ces échanges : géologie du Jura, migrations huguenotes, botanique franco-suisse, premiers développements des musées et jardins.

Des signatures remarquées : Jules Jeanneney, Charles Weiss, Édouard Boillot…

Nombre de personnalités montbéliardaises ont offert à ces publications des articles de fond :

  • Charles Weiss, bibliothécaire à Besançon mais natif de Montbéliard, auteur de plus de 35 contributions sur les manuscrits locaux et la généalogie protestante.
  • Jules Jeanneney, futur président du Sénat, publie dans sa jeunesse plusieurs notes sur le rôle de la franc-maçonnerie dans l’évolution sociale locale.
  • Édouard Boillot, médecin et naturaliste, pionnier des études sur la faune aquatique du Doubs.

Cette vitalité n’est pas que locale : la rigueur scientifique et l’originalité des sujets abordés font que même les grandes encyclopédies nationales (du Dictionnaire de biographie française à la Brockhaus Enzyklopädie) citent abondamment les mémoires montbéliardais.

Quand la publication devient patrimoine : la transmission à l’ère contemporaine

Le XX siècle voit bien sûr la démultiplication des supports, entre impression, dactylographie, puis numérisation. On note plusieurs mutations majeures :

  • L’inscription de la Société d’Émulation dans le réseau Persée, permettant la consultation gratuite de centaines d’articles et la préservation numérique de fonds autrefois difficilement accessibles.
  • Le lancement en 1978 de la Revue du Pays de Montbéliard, portée avant tout par la nouvelle génération d’enseignants, mêlant microhistoires, découvertes de terrain et photographies inédites.
  • Des numéros spéciaux thématiques, consacrés à la « Mécanique de précision à Valentigney », aux « Chemins de traverse entre Sundgau et Pays de Montbéliard », ou encore à « L’intégration industrielle du XX siècle ».

L’enjeu contemporain ? Concilier fidélité à la tradition et ouverture aux nouveaux modes de partage du savoir. Les revues et bulletins assument désormais la vulgarisation autant que l’analyse pointue, invitant de jeunes auteurs, ouvrant des numéros à la cartographie, à la création artistique ou à l’interview.

Pourquoi ces revues comptent-elles encore aujourd’hui ?

Loin d’être de simples témoins d’un passé révolu, ces publications constituent à la fois :

  • Une base irremplaçable pour la recherche : les universitaires et amateurs de généalogie puisent tous les ans dans ces bulletins des centaines de références rarement disponibles dans les archives classiques.
  • Un patrimoine matériel et immatériel : certains fascicules originaux, tirés à moins de 200 exemplaires, sont devenus de véritables « objets de collection », recherchés par les bibliophiles de toute l’Europe.
  • Un moteur pour l’identité régionale : la présence continue de ces périodiques a favorisé la transmission des savoirs locaux, l’intégration des nouveaux habitants et la valorisation des micro-histoires familiales, ouvrières, ou scientifiques.

Leur circulation, aujourd’hui largement dématérialisée, permet de dépasser les limites du « club fermé » des sociétés savantes et de propager la curiosité montbéliardaise à l’échelle internationale. Nombre de chercheurs d’universités américaines ou suisses, étudiants d’histoire industrielle ou philologues, citent désormais les de la Société d’Émulation comme source primaire incontournable de leurs travaux (voir WorldCat).

Une mosaïque éditoriale pour le Montbéliard d’hier et demain

L’histoire des publications savantes montbéliardaises donne à voir bien plus qu’un tissu associatif local : elle révèle l’étonnante capacité d’un territoire à transmettre ses savoirs, forger des réseaux et cultiver la diversité. Que l’on feuillette les épais volumes des siècles passés dans une bibliothèque patrimoniale, ou que l’on explore en ligne les dernières livraisons numérisées, s’ouvre à nous une mosaïque – faite d’érudition, de curiosité et d’envie de partage. Si le monde édite, Montbéliard émule : la tradition demeure, le support évolue, l’esprit de transmission – lui – reste vibrant.

Sources :

  • Gallica (BNF) : Collections numérisées de la Société d’Émulation de Montbéliard
  • Persée, CCFr (Catalogue Collectif de France), WorldCat
  • Mémoires, Bulletins et Revues des sociétés savantes du Pays de Montbéliard
  • J.C. Favez, « Les sociétés savantes en Franche-Comté au XIXe siècle », Annales littéraires de l’Université de Besançon, 1988

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