Une mosaïque de centres d’intérêt : les grands domaines abordés
Loin d’une spécialisation figée, les sociétés d’émulation ont embrassé une diversité de sujets, reflets du dynamisme de leur époque. Plusieurs axes majeurs se dessinent, auxquels s’ajoutent autant de ramifications originales.
1. Sciences naturelles et inventaire du vivant
L’étude de la nature occupe une place centrale. Dans l’esprit encyclopédique du temps, ces sociétés multiplient les observations in situ et les collections. À Montbéliard, la Société d’Émulation, fondée en 1799, consacre nombre de ses séances aux herbiers, à la faune locale et à la géologie du Jura souabe.
- Botanique : flore des prairies, plantes médicinales, cartographie végétale du Doubs.
- Minéralogie : identification de carreaux calcaires, prospection de minerais (fer, houille, sel dans la région).
- Zoologie : recensement d’espèces endémiques, suivi des migrations d’oiseaux – la Société linnéenne de Montbéliard inspire jusqu’à Strasbourg et Bâle (voir Persée).
Ce sont parfois les premiers inventaires scientifiques détaillés de la faune ou la flore régionale. On retrouve dans les publications des sociétés, telles que les “Annales de l’Académie de Besançon” ou les bulletins locaux, de précieuses descriptions de champignons, d’insectes et de fossiles, auxquels se rattachent également des échanges avec d’autres savants européens.
2. Histoire, mémoire et archéologie locale
Grande est la place consacrée à l’histoire et à la préservation du patrimoine. Les sociétés d’émulation recueillent témoignages oraux, objets anciens, et rédigent de volumineuses monographies sur les communes du Pays de Montbéliard.
- Exploration des archives : transcription d’actes anciens, inventaire des chartes médiévales et des registres paroissiaux (certaines études sont à l’origine du classement de sites historiques).
- Archéologie : fouilles de tumuli, recherches sur les sites gallo-romains dans la vallée du Doubs (notamment le site de Mandeure, qui livre amphithéâtres, mosaïques, monnaies).
- Folklore et traditions : enquêtes sur les costumes, les dialectes, les fêtes religieuses et profanes.
Entre 1800 et 1850, la Société d’Émulation publie des études structurantes sur l’histoire de la Principauté de Montbéliard, à l’instar de l’œuvre monumentale de l’abbé L. Delacroix (BNF Gallica). À Dijon, Nancy ou Metz, la même effervescence anime la collecte de “matières locales” (Guy Thuillier, Les sociétés savantes et l’histoire locale, La Documentation Française).
3. Techniques, industrie et innovations pratiques
Le Pays de Montbéliard, terre d’industrie naissante, bénéficie de sociétés d’émulation sensibilisées à la modernisation économique. Leur contribution à la connaissance technique n’est pas négligeable.
- Études sur la mécanisation : expériences sur la force motrice de l’eau dans les moulins, adaptation des machines à tisser ou à filer (un secteur clé avec le développement des filatures DMC – Dolfus-Mieg et Compagnie).
- Métallurgie : recherches sur le traitement du fer, visite de hauts-fourneaux, vulgarisation des procédés permettant d’améliorer la qualité de la fonte.
- Agriculture : essais sur la culture de la betterave, analyses de la productivité, conseils sur la rotation des cultures.
Un exemple étonnant : dès les années 1830, la Société d’Émulation de Belfort expérimente une “pompe à incendie perfectionnée” et publie les résultats obtenus, offrant à la ville le premier plan de prévention moderne contre le feu (source : Bulletin de la Société d’Émulation du territoire de Belfort).
4. Arts et lettres : une émulation créative
Les sociétés ne négligent pas la littérature, les beaux-arts, la musique, la poésie, et forment un public d’amateurs éclairés et critiques.
- Organisations de salons et d’expositions d’art : révélant de jeunes peintres ou sculpteurs régionaux.
- Publication de poèmes et de contes : souvent inspirés du terroir, lauréats de concours institutionnels.
- Critique littéraire : comptes rendus de lectures, débats autour de la traduction des textes allemands (l’influence culturelle du Wurtemberg demeure forte à Montbéliard).
On doit à ces sociétés des recueils collectifs et des albums, où artistes et écrivains locaux se côtoient, à l’image du “Recueil de la Société d’émulation de Montbéliard” édité dès 1807.