Temple Saint-Martin de Montbéliard : Itinéraire d’un témoin de la Réforme

27/10/2025

À la croisée de l’Histoire et de la foi : le Temple Saint-Martin

Au détour des ruelles du centre historique de Montbéliard, le Temple Saint-Martin s’élève, paisible et digne, sur la place du même nom. Sa façade trapue, dominée par une austérité typique de l’époque, contraste avec les fumées industrielles qui, au fil des siècles, ont cerné la ville. Ce bâtiment, discret et pourtant essentiel, porte un legs exceptionnel : il s’agit du plus ancien temple protestant de France encore en activité. Loin de n’être qu’un simple édifice religieux, le Temple Saint-Martin incarne, dans ses pierres, les mutations politiques, religieuses et culturelles qui ont façonné l’ancienne principauté de Montbéliard et, au-delà, la France elle-même.

Mais comment ce monument, souvent méconnu au-delà des frontières régionales, a-t-il traversé cinq siècles d’histoire ? Plongée dans un récit où l’architecture rencontre la Réforme, où la mémoire locale rejoint la grande Histoire.

Montbéliard, ville de la Réforme : un contexte unique

Pour comprendre la singularité du Temple Saint-Martin, un détour par le contexte montbéliardais s’impose. Au début du XVI siècle, Montbéliard était la capitale d’une petite principauté alors rattachée à la famille de Wurtemberg. Cette situation frontalière – à la confluence des influences françaises, suisses et allemandes – favorisait les échanges intellectuels et religieux.

C’est en 1524 que le paysage religieux de la cité bascule : sous l’impulsion du prince Ulrich de Wurtemberg et de son épouse Sabine de Bavière, Montbéliard adopte la Réforme luthérienne. Bien avant Strasbourg ou Paris, la ville devient l’un des premiers bastions protestants francophones.

Quelques chiffres éloquents :

  • À la fin du XVI siècle, plus de 90% de la population du Pays de Montbéliard suivait la foi luthérienne (source : Archives municipales de Montbéliard).
  • En 1561, le culte catholique disparaît officiellement de la ville jusqu’à la Révolution française.

Le besoin de lieux de culte adaptés à la nouvelle liturgie émerge donc rapidement. Le Temple Saint-Martin verra le jour dans ce contexte foisonnant.

La naissance du Temple Saint-Martin : une première en France

L’histoire du Temple Saint-Martin débute précisément en 1601 : la construction est lancée sous le règne de Frédéric Ier de Wurtemberg, soucieux d’inscrire le Pays de Montbéliard dans la modernité de la Réforme. C’est un architecte local, Heinrich Schickhardt, surnommé « le Léonard de Vinci du Wurtemberg », qui est chargé du projet.

  • Première pierre posée : mai 1601
  • Inauguration et première célébration : 23 octobre 1607

Le temple est ainsi le tout premier édifice conçu dès l’origine pour le culte protestant sur le sol français, contrairement à la majorité des temples protestants du territoire, issus d’adaptations d’églises catholiques existantes après l’Édit de Nantes (1598).

Quelques éléments marquants de la construction :

  • Le financement du projet, estimé à 17 000 florins, repose sur une taxe prélevée sur toute la population du pays de Montbéliard, soulignant l’adhésion collective.
  • Le chantier mobilise des artisans locaux mais aussi des tailleurs de pierre venus d’Alsace et du Wurtemberg.

Une architecture emblématique de la Réforme

Le Temple Saint-Martin incarne les valeurs et les exigences du protestantisme luthérien. Son architecture se distingue par sa simplicité, pensée en opposition à la richesse décorative de l’art religieux catholique.

Caractéristiques majeures du bâtiment :

  • Plan rectangulaire : L’espace est conçu pour mettre la Parole au centre, permettant à tous les fidèles de voir et d’entendre le prédicateur sans entrave.
  • Pilier central octogonal : Unique en France à l’époque, il permet de soutenir la charpente tout en ouvrant l’espace intérieur.
  • Absence de chœur : Contrairement aux églises catholiques, la séparation entre clercs et fidèles disparaît.
  • Tribunes latérales : Ajoutées au fil du temps pour accueillir une assemblée de plus en plus nombreuse (capacité finale : environ 900 places assises).
  • Mobilier : Un remarquable buffet d’orgues Renaissance construit en 1756 par Jean-André Silbermann, célèbre facteur d’orgues alsacien.

Les éléments décoratifs sont rares : une croix latine discrète, quelques vitraux sobres, et des inscriptions bibliques – marque typique des temples protestants d’Europe centrale.

Un témoin des bouleversements français

Survivre à travers les siècles, ce n’est pas un hasard. Le Temple Saint-Martin a vu défiler guerres, révolutions, changements de souveraineté, parfois même des menaces de destruction.

  • 1730 : Un incendie ravage la toiture. La communauté se mobilise pour restaurer le monument.
  • 1793 : Sous la Révolution, la région est annexée à la France. Le temple échappe à la profanation, contrairement à nombre d’édifices catholiques alentours.
  • Épisode napoléonien : L’utilisation du temple comme dépôt militaire est rapidement abandonnée, sur intervention de notables montbéliardais (source : Société d’émulation de Montbéliard).
  • 1870-1871 : Pendant la guerre franco-prussienne, la population s’y réfugie, le temple étant considéré comme un lieu inviolable.
  • XX siècle : La communauté protestante ouvre progressivement l’édifice à d’autres usages : concerts, conférences, dialogues œcuméniques.

Anecdote : Pendant la Seconde Guerre mondiale, des inscriptions de prisonniers allemands datant de 1940 ont été retrouvées dans la cave du Temple (source : Archives départementales du Doubs).

Le Temple Saint-Martin et la mémoire montbéliardaise

Au fil des siècles, le Temple Saint-Martin n’a jamais cessé d’être un repère. Il reste aujourd’hui le principal lieu de culte protestant du Pays de Montbéliard, rassemblant chaque semaine une assemblée fidèle.

Bien plus qu’un simple bâtiment, il a joué un rôle charnière dans l’histoire locale :

  • Lieu de formation : Des générations de catéchumènes protestants y ont été instruits et baptisés.
  • Symbole de résistance culturelle et religieuse dans un environnement majoritairement catholique après l’intégration à la France.
  • Création, en 1976, d’un festival annuel de musique baroque, exploitant l’acoustique remarquable du lieu.
  • Accueil d’événements civiques majeurs : commémorations, funérailles de personnalités locales, actes œcuméniques.

Souvent rénové (notamment en 1935 et dans les années 1980-90), il conjugue aujourd’hui respect de la tradition et ouverture aux nouveaux usages. En 2012, un chantier de restauration de la toiture et de la charpente a permis de retrouver des pièces de bois d’origine, datées par dendrochronologie de l’hiver 1599-1600.

Un monument reconnu pour sa valeur patrimoniale

Le Temple Saint-Martin est classé au titre des monuments historiques depuis 1981. Il est ainsi reconnu parmi les 12 premiers temples protestants protégés en France.

Année Événement
1601-1607 Construction du temple
1981 Inscription à l’inventaire des Monuments Historiques
2012 Restauration majeure de la charpente

Sa gestion actuelle incombe à la paroisse protestante de Montbéliard ainsi qu’aux services de l’État, garants des exigences du Code du patrimoine (source : Ministère de la Culture).

L’héritage du Temple Saint-Martin dans la France d’aujourd’hui

Le Temple Saint-Martin se situe à la jonction de plusieurs histoires : celle de la Réforme, du Pays de Montbéliard, du culte protestant en France. Il est le témoin de la capacité d’une ville, souvent vue comme périphérique, à jouer un rôle motorisateur dans la modernité religieuse européenne.

Chaque année, le temple attire plus de 6 000 visiteurs, Français et étrangers, curieux et pèlerins. Des initiatives récentes, comme les « Rendez-vous du patrimoine protestant » et les visites contées pour les scolaires, entretiennent ce dialogue entre histoire, mémoire et transmission.

La puissance symbolique du Temple Saint-Martin ne tient pas seulement à son âge vénérable, mais à sa capacité à traverser les bouleversements, inspirer respect et réflexion, et ouvrir une fenêtre sur la diversité française. Il rappelle à chaque génération la force du dialogue, de la tolérance, et le pouvoir de l’émulation au service du bien commun.

Pour aller plus loin :

  • Site officiel de la paroisse
  • « Histoire du protestantisme à Montbéliard » – Société d’Émulation de Montbéliard
  • « Le Temple Saint-Martin et la Réforme luthérienne », Fabien Jeannerot, Revue d’Histoire du Protestantisme, 2017
  • Base Mérimée, Ministère de la Culture : fiche du Temple Saint-Martin

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