L’emblème vivant de Montbéliard : le château des ducs de Wurtemberg, mémoire et avenir d’un territoire

18/10/2025

Un château, mille vies : aux sources du symbole montbéliardais

Au cœur de Montbéliard, dominant la vallée de l’Allan depuis son promontoire, le château des ducs de Wurtemberg s’impose comme une présence familière et singulière. Il concentre en ses murs huit siècles d’histoire mouvementée, de transgressions architecturales et de transmissions culturelles, au point de devenir la clé de voûte identitaire de la cité. Comment ce monument est-il devenu le symbole de Montbéliard, bien au-delà de sa silhouette connue ? Sa portée dépasse la simple image carte postale pour toucher à l’expérience collective, à la mémoire partagée, et même à l’élan d’innovation d’un territoire toujours en ébullition.

Des origines moyenâgeuses à la Renaissance : une forteresse miroir du temps

L’aventure du château débute au XI siècle, sous le nom de « Mons Beliardae », avec la construction d’un castrum primitif, bientôt développé par les comtes de Montbéliard. Mais c’est à partir de 1397, lors du mariage d’Henriette de Montfaucon avec Eberhard IV de Wurtemberg, que l’histoire du château bascule, associant durablement le destin local à celui de la maison de Wurtemberg. Cette union politique et dynastique — rare cas d’annexion principautaire par mariage — fait entrer Montbéliard dans les grandes dynamiques européennes.

Le château, alors forteresse féodale, connaît des transformations majeures à partir de la Renaissance. Sous Georges Ier, puis Frédéric Ier de Wurtemberg, les fortifications cèdent la place à une architecture résidentielle raffinée, intégrant bastions d’artillerie, galeries à arcades, fenêtres à meneaux, et loggia inspirée du gothique tardif allemand. L’aile Henriette (élevée vers 1572) et le « Petit Château » (fin XV–début XVI) témoignent de ce tournant : on parle du château comme d’une « école d’art militaire et civil ».

  • Superficie : Environ 6 000 m de bâtiments répartis autour de trois cours principales.
  • Élévation : Cinq niveaux pour la tour Henriette, véritable repère urbain.

Dès le XVI siècle, la présence d’ateliers d’horlogerie, d’une bibliothèque et même d’un premier musée de curiosités dans l’enceinte illustrent l’ouverture intellectuelle du château, bien avant que la tradition d’émulation ne rayonne au XIX siècle (Archives départementales du Doubs, série E). Du donjon médiéval à la salle d’apparat Renaissance, chaque pierre énonce le dialogue entre défense et accueil, prestige princier et animation savante.

Le laboratoire politique et religieux de la principauté de Montbéliard

Le château n’est pas seulement une résidence ; il concentre les pouvoirs politique, administratif et judiciaire. Si la principauté demeure une enclave protestante après 1534, c’est entre ces murailles que s’élaborent les compromis religieux et les innovations sociales. La crypte recèle la mémoire des ducs protestants, tandis que la chapelle du château accueille les offices réformés, spécificité fortement identitaire dans un espace franc-comtois alors majoritairement catholique.

Une institution célebrée s’y déploie : le Conseil souverain du Wurtemberg, organe de justice installé dans l’aile sud, attire juristes et lettrés de toute l’Europe rhénane. En 1598, pour la première fois en France, le Code civil protestant du Wurtemberg est lu en public dans la grande salle, prélude à la singularité juridique du pays de Montbéliard jusqu’à son rattachement à la France en 1793.

  • Montbéliard, ville internationale : Jusqu’à 18 langues entendues lors des audiences ducale — témoin d’un brassage culturel méconnu.
  • Une cour de savants : Notons le passage de Johannes Kepler en 1620, accueilli pour une session d’astronomie à la tour Henriette.

Le château incarne ainsi la double identité montbéliardaise : fièrement ancrée dans le sillon protestant, mais aussi résolument ouverte à l’Europe des savoirs et des échanges.

Un théâtre vivant d’événements historiques majeurs

Entouré de ses remparts, le château fut le témoin d’événements décisifs, du siège de 1676 pendant la guerre de Hollande, à l’entrée des troupes révolutionnaires françaises qui mirent fin à la principauté séculière. En 1793, sous l’égide du général Pichegru — natif de la région —, le château devient Quartier général de l’armée du Rhin. C’est là que sont signées des proclamations importantes pour le rattachement à la France, une bascule politique dont les traces sont encore perceptibles dans la salle du Conseil.

  • Épisode de 1814-1815 : Occupation courtoise du château par les troupes autrichiennes, qui conservent et documentent soigneusement le mobilier et la galerie des portraits ducs — une rare élégance dans les temps de guerre.
  • Mémoires locales : De nombreux récits d’habitants collectés au XIX siècle évoquent les fêtes, bals et marchés organisés sur les terrasses du château, ouverts à toute la population.

Le château des ducs s’inscrit donc dans la trame même de la vie montbéliardaise, comme un centre de gravité lors des périodes de crise et de transition.

Une architecture polyphonique, marqueur du territoire

Ce qui frappe chez tout visiteur montant la rampe du château, c’est la diversité des styles architecturaux juxtaposés : l’édifice est à la fois une synthèse de l’ancienne forteresse médiévale (XIV—XVe siècles), des apports humanistes de la Renaissance, et d’ajouts XIX empreints d’historicisme.

  • La Tour Henriette : Symbole chéri, édifiée vers 1420, elle fut dotée au XVI d’un lanternon octogonal surplombant la ville — son surnom ? « La sentinelle du Pays ».
  • L’aile Louis : Aménagement motivé par la prospérité horlogère du XVIII, transformée en appartements princiers selon les goûts néo-classiques alors en vogue.
  • Le Bastion circulaire : Bastion typique de la Renaissance militaire, surplombant la ville basse et classé Monument Historique en 1932.

Le château n’a jamais été figé — il a constamment évolué, suivant la fortune et les impatiences de ses propriétaires, retouché, agrandi, recomposé : il matérialise l’art du compromis historique. Les restaurations menées depuis 1933 par l’État et la Ville de Montbéliard respectent cette complexité, faisant du lieu un manuel d’architecture à ciel ouvert.

Un musée du patrimoine vivant : transmission, créativité et société

Aujourd’hui, le château des ducs de Wurtemberg abrite le Musée du Château, reconnu Musée de France, qui accueille chaque année plus de 40 000 visiteurs (source : Ville de Montbéliard). Ses collections revisitent trois axes : archéologie locale, histoire du territoire, et beaux-arts, sans oublier la célèbre collection zoologique de Georges Cuvier, natif de Montbéliard. Le site n’est pas seulement un conservatoire : il fait dialoguer création contemporaine et histoire.

  • Expositions temporaires d’artistes régionaux ou internationaux (dossier thématique consacré à Jean Messagier en 2022-2023).
  • Organisation d’ateliers pédagogiques pour les scolaires et publics empêchés.
  • Concerts dans la cour Renaissance, lectures-spectacles, Nuit des Musées, etc.

Un laboratoire d’innovation patrimoniale : le château propose désormais des visites en réalité augmentée, des parcours ludiques et des supports multilingues, prolongeant sa tradition d’accueil d’idées nouvelles. À ce titre, il incarne la continuité entre le passé et le présent, fidèle à la devise régionale : « Toujours de l’avant, sans rien oublier. »

La silhouette du quotidien : entre attachement émotionnel et repère urbain

Le caractère emblématique du château tient aussi à son insertion dans le paysage et la vie quotidienne. Perçu depuis presque tous les quartiers de la ville, il est omniprésent dans l’imaginaire local comme dans la communication institutionnelle. De la façade de l’hôtel de ville aux enseignes commerciales en passant par les créations artistiques (cf. fresque de la place Denfert-Rochereau ou logo de l’Office de Tourisme), sa silhouette inspire et rassure.

Un sondage mené en 2017 (source : Est Républicain) révélait que plus de 68 % des habitants identifient le château comme « le premier symbole visuel de Montbéliard », devant l’église Saint-Martin ou la Roselière. Ce sentiment d’appartenance nourrit une dynamique de transmissions intergénérationnelles : nombre d’écoles, d’associations et même d’entreprises locales s’appuient sur son image pour se définir.

  • Fête de la Saint-Martin : Processions traditionnelles se terminant au pied du château, tous les 11 novembre, perpétuent l’attachement à ce repère séculaire.
  • Lieu de rassemblement populaire : Chaque édition du Marché de Noël, le château accueille plus d’une centaine de stands et des spectacles pour petits et grands.

Dynamique mémorielle et rayonnement actuel

Le château ne vit pas que dans la mémoire : il irrigue aussi le présent. Sa programmation s’ouvre aux enjeux contemporains : accueil de la Biennale d’Art textile en 2021, colloques sur le dialogue interculturel, projets participatifs pour la valorisation de l’histoire ouvrière locale… Le château reste un creuset d’idées, fidèle à la vocation d’émulation qui caractérise le Pays de Montbéliard. La diversité des publics accueillis (habitants, scolaires, chercheurs, touristes internationaux) reflète l’effort constant d’ouverture vers l’extérieur et la vigilance à ne pas figer l’histoire dans la pierre.

  • Publication régulière de catalogues bilingues, connectant le passé wurtembergeois à la Francophonie contemporaine.
  • Développement durable : restauration des toitures menée avec des matériaux écologiques en 2023, dans une démarche de respect des savoir-faire locaux (source : Ville de Montbéliard).
  • Implication dans des réseaux de musées européens pour promouvoir le patrimoine transfrontalier du Rhin supérieur.

Au fil des siècles, le château des ducs de Wurtemberg est devenu davantage qu’un monument ou une relique : il est le cœur palpitant d’un territoire, la matrice toujours active d’identités plurielles et d’initiatives vivantes. Véritable point de convergence entre histoire, invention, transmission et partage, il façonne autant qu’il reflète Montbéliard et ses habitants.

Pour aller plus loin : quelques ressources à découvrir

  • Musée du Château de Montbéliard : Site officiel
  • Découvrir le Pays de Montbéliard : Office de Tourisme
  • Ouvrage de référence : , sous la direction d’A. Dufour, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2013.
  • Articles d’archives : « Le Château de Montbéliard, histoire et architecture », Patrimoine & Architectures, n° 33, 2019

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